Ficelle n° 73 : Ecriture et management

L’écriture a ceci de mystérieux qu’elle parle.

Paul Claudel.

Management et écriture ? A première vue, les deux choses semblent ne pas avoir grand-chose à voir. Bien sûr, la vie en entreprise fourmille de mails, notes de service et autres rapports de toutes sortes, mais ces écrits semblent n’avoir d’autres finalités que fonctionnelles, cherchant simplement à être clairs et efficaces. Loin de la littérature, donc. Pourtant, à bien y réfléchir, l’acte d’écrire pourrait offrir plus d’un atout à ceux dont la fonction est de diriger, épauler, tracer des voies neuves.

Imaginez un instant : Vous sortez furieux d’une réunion dont l’animation semble vous avoir échappé. Toujours ce collègue qui cherche à vous torpiller, cet autre qui n’écoute pas, ne parlons même pas de cette troisième qui n’a de cesse de ramener tout à son petit point de vue… Ça y est, vous fulminez, et commencez à tourner, tel un hamster dans votre cage intérieure. Tous les ingrédients sont en place pour une nouvelle soupe à la grimace. Démotivation, ras le bol, sentiment d’être incompris. Et si vous preniez une feuille pour coucher tout ce bouillonnement par écrit ? Si vous vous donniez la chance des mots ? Pas besoin de grands effets littéraires ou de descriptions minutieuses, il n’est pas ici question de se prendre pour Proust, simplement de…

  1. Prendre du recul.

Ecrire, c’est, de facto, acquérir une certaine distance par rapport aux évènements. Alors que nous vivons dans un monde où les activités se succèdent à un rythme infernal, où l’immédiateté triomphe, le risque est grand de ne pas trouver de solution simplement parce que le problème a été mal posé. Ecrire demande du temps, de la patience, du recul. La page blanche est là, angoissante et/ou accueillante, support pour que nous ne nous perdions pas dans le tumulte de nos émotions, ne soyons pas trop scotchés sur nos impressions premières, nos évidences discutables et autres certitudes faussement inébranlables. Chercher et trouver les mots pour dire ce qui nous arrive nous permet de rendre les choses plus complexes, moins univoques et donc plus vivantes et réelles. Car, nous le savons tous au fond de nous, la réalité est rarement « d’un bloc ».

  1. Se donner la parole.

Englués dans l’énervement et les soucis de toute sorte, il ne nous est pas facile de comprendre ce que nous vivons vraiment, de décoder tant nos émotions que ce que la vie nous donne à penser. Entrer dans le processus de l’écriture, c’est se donner la possibilité de nommer au plus juste ce que nous ressentons vraiment; c’est, au-delà des mots d’ordre et discours qui nous collent à la peau, tenter de mettre en lumière la parole originale qui nous appartient en propre. C’est se vivre comme une quête toujours à recommencer certes, mais dont les lignes de force se marquent petit à petit. Bref, écrire, c’est se donner la chance de s’entendre vraiment. C’est raisonner mais aussi résonner.

  1. Se mettre dans d’autres peaux que la sienne.

L’écrivain Michel Houellebecq disait il y a peu que le but d’un romancier est que ses personnages aient tous raison. Intuition profonde qui nous permet de comprendre davantage ce que l’écriture peut apporter aux managers. Prendre la plume, c’est bien sûr parler de soi, mais aussi des autres. C’est inévitablement s’ouvrir à d’autres perceptions de la réalité que la sienne. L’écriture nous offre cette possibilité merveilleuse de pouvoir tenter de comprendre d’autres points de vue que le nôtre : cette collègue, pourquoi agit elle de la sorte ? En ai-je la moindre idée ? Et ce personnage qui m’agace, pourquoi m’énerve-t-il autant ? Est-ce que je l’énerve aussi ? Que cherche-t-il à dire, à vivre, de quoi ne peut-il pas se passer ? Ecrire peut nous aider à élargir notre point de vue, à découvrir certaines de nos œillères invisibles, et peut-être à les quitter. Cela nous permet aussi de mieux savoir ce qui est essentiel pour nous, ce à quoi nous ne pourrions renoncer sans nous trahir.

  1. (Re)trouver la mémoire

Ecrire c’est laisser une trace de ce qu’on a vécu, et donc pouvoir relire, plus tard, la façon dont nous avons abordé les différentes situations. C’est amasser un trésor de connaissances, de sentiments et d’expériences que nous pourrons faire fructifier et auquel nous pourrons revenir pour éviter de commettre à nouveau certaines erreurs, pour sortir de bien des impasses, et aussi, et ce n’est pas rien, pour garder l’espérance.

Alors, prêts pour l’aventure des mots ? La prochaine fois que quelque chose semble vous submerger, prenez un stylo ou installez vous quelques minutes devant le clavier et laisser les phrases, aussi pauvres soient elles, vous venir en aide.