Ficelle n° 69 : Oser demander

Ficelle N° 69 : Oser demander

Illustration du conseil de Cegis: il faut oser demander. "Il faut oser demander. Il meurt lentement celui qui ne se laisse jamais aider." (Pablo Neruda)

 

Un soir comme les autres. Une famille est à table, en train de terminer de diner. La mère apporte une tarte, et demande à la plus jeune de ses filles quel morceau elle désire. Sans hésiter, cette dernière choisit la part la plus volumineuse. Moyennant quoi sa sœur récrimine : « Mamaaaaannn ! Elle a pris le morceau le plus gros, c’est pas juste » ! Se tournant, sourire aux lèvres vers elle, son père lui demande alors : « Toi, quel morceau aurait tu choisi ? » « Le plus petit, bien sûr » répond la petite, l’air à la fois angélique et boudeur. « Eh bien alors, de quoi te plains tu ? Tu l’as ! ».

 

Cette anecdote savoureuse a valeur de leçon : il faut oser demander, voir grand, rêver large. Désirer vraiment. Or, souvent nous sommes pris dans des logiques de renoncement, parasités par tant « d’à quoi bon ? » et de « pas possible ». Au risque, lentement, presqu’inexorablement, de nous déconnecter de cette part essentielle de nous, la plus profonde pourtant, qui ne veut rien tant que de s’émerveiller, de donner sa pleine mesure. Et par le fait même, de devenir amer, soupçonneux, ou, pire cynique. Le cynisme est la protection de ceux qui n’osent pas.

 

Il faut oser demander. Pour sortir de la méfiance et du soupçon qui minent souterrainement tant de nos institutions, nos entreprises. Parce que aucun de nous ne peut prétendre être autosuffisant, vivre totalement délié de tout souci d’autrui, et que c’est à plusieurs qu’on devient soi même. La preuve : chacun nous gardons au fond de nous le souvenir ému d’une personne qui a cru vraiment en nous, nous a confié des responsabilités qui nous semblaient impossibles mais dont elle nous croyait capable. Nous chérissons celui ou celle qui a vu en nous plus loin que nous, nous a aidé à dépasser les peurs et les doutes, nous ouvrant par là même les portes de notre futur. Tous, nous cherchons à être reconnus, aimés de la façon la plus inconditionnelle possible. Nous avons besoin de naître, encore et encore, grâce, avec et pour les autres.

 

Il faut donc oser demander. Pour soi bien sûr mais pas seulement. Pour les autres également. Permettre de donner est peut être le plus beau cadeau qu’on puisse offrir à quelqu’un. Sans doute le plus grand drame pour un humain est-il que personne ne lui permettre de transmettre ce qu’il a à offrir. Il faut beaucoup de confiance en l’autre pour oser être en demande, vulnérable, appeler à l’aide au risque de la dépendance. Demander c’est dire « je ne suis pas tout », « j’ai besoin de toi », entrer dans une dynamique de solidarité et de confiance mutuelle. Immense défi, loin du prêchi prêcha ou de tout angélisme, toujours suspects.

 

Il faut oser demander pour avoir le moins de regrets possible. Parce que la beauté de la réalité dépend aussi de la qualité du regard qu’on pose sur elle. Combien d’entreprises connaissent des problèmes causés par des pathologies de la demande ? On demande trop ou pas assez, ou si mal. On n’ose pas oser. Souvent, pour parler de la vie, nous utilisons la métaphore du verre d’eau, que l’optimiste voit à moitié plein et le pessimiste à moitié vide. Parlant de la sorte, nous oublions peut-être la question essentielle : ne serait-il pas heureux, plutôt que d’évaluer son contenu, de tenter de remplir le verre davantage ?

 

Demain, en entreprise, osons donc nous poser la question : Comment demandons-nous ? Sommes‑nous trop autoritaires ou aveuglément confiants ? Ne vivons-nous pas des tensions parce que nous demandons mal, pas toujours au bon moment ou aux bonnes personnes ?