Ficelle n° 81 : Apprendre à discerner les signaux faibles

Pris dans l’urgence et les soucis immédiats, nous, Occidentaux, avons tendance à consacrer toutes nos énergies aux choses qui prennent le plus de place et font le plus de bruit. Inévitable ? Sans doute ? Indispensable ? Sûrement. Pourtant, persuadés que le temps c’est de l’argent, nous parons au plus pressé, au risque de manquer de recul, d’avoir tellement le nez sur les évènements, que nous perdons toute vision. Pas étonnant dès lors que, souvent, l’horizon nous semble bouché.

Au-delà du phénomène de mode, s’intéresser à d’autres cultures est captivant car cela nous révèle des sensibilités variées, des façons de se positionner dans le monde bien différentes. Sans idéaliser ni sombrer dans la fascination de l’exotisme, il peut être intéressant de redécouvrir cette idée si féconde de la mentalité orientale : Il est capital d’apprendre à repérer les signaux faibles, les traces ténues, ce qui commence à peine à s’esquisser. Moins centré que nous sur l’efficacité de la parole et le désir de maitrise, plus tournés vers la recherche de l’harmonie (ce qui pose, évidemment, d’autres problèmes) les chinois, par exemple, apprennent davantage que nous à écouter les murmures que le silence permet d’entendre. Ils ont compris que les grandes choses commencent par être petites, que les révolutions naissent sans bruit. Ils prennent davantage la situation à la source, quand elle est encore maitrisable plutôt que lorsqu’on ne peut que la contenir douloureusement ou pallier vaille que vaille aux effets pervers qu’elle en vient à produire.

Le monde techno-scientifique qui est le nôtre le montre chaque jour : Les grands effets aveuglants sont porteurs d’une multitude de causes microscopiques. Rien n’est d’une pièce, totalement simple, monolithique. Nous avons une vision trop dichotomique, manichéenne des choses : Tout doit être noir ou blanc, alors qu’il existe tant de nuances de gris. Aucun acteur de l’entreprise, par exemple, ne peut porter l’entièreté de la responsabilité d’une crise, les facteurs sont toujours multiples et donc moins aisément discernables. Les difficultés qui nous enchainent proviennent toujours d’une réaction en chaine. C’est ce qu’on appelle l’effet papillon. Les problèmes sont systémiques, proviennent d’une addition de petits dysfonctionnements qui, au final, arrivent en cascade. C’est la raison pour laquelle la maitrise ne peut être totale l’attention doit être souple, fine, prête à prendre des chemins de traverse qui, pour ceux qui pensent d’une pièce, sont autant de complications inutiles, de perte de temps.

Une des raisons qui rendent les crises aigues si difficiles à analyser, c’est qu’elles paraissent trop énormes pour qu’on puisse avoir une prise sur elles, trop graves pour qu’on puisse les disséquer. Elles semblent nous contraindre à la panique, à la peur, à la fuite angoissée. C’est en amont, là où quelques changements simples sont possibles qu’il faut agir, entendre, donner à penser. Une petite revendication niée qui en rencontre une foule d’autres, cela peut donner au final une cacophonie impossible à gérer. Il est impératif que nous retrouvions, l’écoute, la modestie, l’humilité, cette intelligence des racines. Car, c’est bien connu : Un arbre qui tombe fait infiniment plus de bruit qu’une forêt qui pousse.

Aujourd’hui, dans mon entreprise, quels sont les signaux faibles ? Comment mieux discerner les attentes, les colères contenues, les devenirs qui cherchent à naitre ?