Ficelle n° 79 : Quelle valeur ont mes valeurs ?

Valeur. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le mot est à la mode aujourd’hui. Le nombre de séminaires, de conférences consacrés à cette notion philosophique est tout simplement vertigineux. Au point, même, de susciter un certain énervement, voire d’éveiller les soupçons : Quelle est la valeur de cette notion de valeur, dont notre monde fait si grand cas ?

Une notion élastique

Le terme valeur renvoie au latin valere qui signifie « être fort, puissant ». On peut, devant cette étymologie, se demander si le terme, justement, n’a pas perdu de sa puissance. Mis à toutes les sauces, utilisé comme bouche trou, paravent ou réponse qui paralyse le questionnement critique authentique, il n’est pas simple de comprendre comment il peut encore faire sens aujourd’hui. Il dissimule en fait une ambiguïté : la valeur c’est à la fois ce qui est important pour moi et en soi. Ca dépend et ne dépend aucunement de moi. Il y a de quoi se prendre les pieds dans le tapis ! On comprend mieux  le grand écart qui peut exister entre certains discours qui utilisent ce terme pour promouvoir l’individualisme et d’autres qui cherchent à imposer des idées en les faisant passer pour des réalités indiscutables.  Le problème de la notion de valeur, c’est que, ambivalente, elle peut produire des discours aliénants qui sous couvert de liberté, cherchent à instaurer une contrainte d’autant plus efficace qu’elle est décrétée ne pas pouvoir être questionnée. Etre fort, puissant, certes…Mais de quelle force, au bénéfice de quel puissant ?

Le danger de l’idéalisme

Autre problème : Les discours des valeurs prêtent vite le flanc au reproche d’idéalisme. Qui, par exemple, pourrait ne pas être d’accord avec le fait que le respect est une dimension fondamentale de nos existences ?  Pourtant, de là à croire que cette unanimité théorique règle les problèmes concrets, pratiques, il y a un pas !  C’est que ce genre de discours moralisant ne prend guère en compte les situations concrètes, toujours plus mitigées, complexes, incarnées que nos grands discours idéaux. Un supplément d’âme, ça fait bien et ça ne mange pas de pain…Mais ça risque d’empêcher les colères et critiques légitimes de se dire et donc de pouvoir faire changer les choses. Les valeurs ne seraient elles qu’un abracadabra, la croyance enfantine qu’il suffit de dire et de vouloir une chose pour qu’elle se réalise ?  Un » c’est celui qui dit qui l’est », en quelque sorte ?

Etre reconnu à sa juste valeur

Des considérations qui précèdent, on comprend l’agacement devant cette notion peu claire et mise au service de bien des intérêts particuliers. Pourtant, elle pourrait reprendre des couleurs, et une certaine… valeur justement. A condition de l’entendre autrement : La valeur ne concerne pas d’abord un idéal à atteindre ou une contrainte ventriloque mais bien le désir humain profond d’avoir de la valeur, c'est-à-dire d’être considéré, pris en compte dans toute sa complexité, sa singularité. D’avoir une place.  A de la valeur, ce qui permet à un être de donner sa pleine puissance, de ne pas vivre dans la haine, le dégoût de soi et des autres, le ressentiment. Les valeurs d’une entreprise n’est ce pas alors ce qui, dans le respect de chacun et les réalités singulières d’un collectif, permet à chaque travailleur d’être mis dans les meilleurs conditions possibles pour pouvoir donner le meilleur ?

Qu’est ce qui a vraiment de la valeur pour moi dans mon travail ? Quelles conditions me sont indispensables pour pouvoir offrir le meilleur ?